« Petit trouble » – le témoignage d’Alexandra

 

Ça commence un matin dans la salle de bain par une expiration un peu plus longue et un tas de cheveux dans le lavabo.

De ce souffle un peu coupé quand on découvre les zones dégarnies dans le miroir. Ça faisait un moment, oui, qu’on s’en doutait. Mais là, c’est sûr, ça se voit.

La stupeur.

La tristesse.

La colère peut-être chez certains ?

Les sentiments de solitude, de faiblesse, demie-femme.

On dira que c’est un problème personnel, c’est en fait un tabou. On ne dira rien mais on verra qui regarde avec un peu plus d’insistance le chamboulement de notre image.

Ce ne sera jamais rien pour nous parce qu’on aura été touchée dans la partie visible de notre identité. Sans consentement.

Ainsi, ça commence dans la douleur et quelques larmes, parfois, souvent.

On va essayer quand même de vivre avec elle, et même de l’écrire, de la jouer, de la danser, ou juste s’enfoncer dans les draps avec elle le soir.

L’alopécie est là et nous rappelle ô combien l’image de soi dans notre société est cruelle et peut faire mal. La femme d’aujourd’hui doit ressembler à ces figures sur papier glacé, avec de longs cheveux brillants évidemment, pleins.

Elles sont pourtant rares ces femmes à la sortie du métro. Bordel.

Bref. Pas pour nous la chevelure qui virevolte dans l’air expulsé du sèche -cheveux, non, nous on mise sur la discipline, rien de tel disait le grand-père.

Attachée, coincée derrière l’oreille et ainsi oubliée jusqu’à la rencontre avec un quelconque miroir.

On cherche la solution. Des heures.

Peut-être une personne avisée sur la grande toile la partagerait ? Forcément contre quelques euros… ça sent la magouille comme disait le grand-père (oui, le même).

On collectionne les huiles bienfaitrices qui feraient pousser les cheveux, les conseils des copines mais rien n’y fait.

Puis après avoir assez perdu de temps (et d’argent) on se dit qu’on aimerait savoir si il y a une solution sérieuse, un truc de scientifique.

On pousse la porte du cabinet du dermato, autant pour comprendre ce qu’on a, qu’enfin voir quelqu’un s’occuper de nous sérieusement.

Et on écoute, pendue à ses lèvres, l’annonce de notre “petit” trouble et sa définition, tous ces petits mots qui forment des phrases auxquelles on ne comprend pas toujours tout. Mais qu’importe, maintenant, on a du pschit à se mettre sur le cuir chevelu.

Les jours et les semaines vont passer, on va continuer de croiser des regards très attachés sur le dessus de notre tête, on va accueillir (ou pas) quelques paroles maladroites, on va expliquer (ou pas).

Les années aussi vont passer, on s’auto promeut “Professionnelle Autodidacte du Camouflage d’Alopécie”, mieux que Fantomas : nous.

Dans le même temps on apprend, on abandonne, on revient, on pleure encore, on se trouve moche, diminuée puis le lendemain on se trouve jolie quand même, merde.

On apprend aussi à en parler, à se libérer et à quand même kiffer son sèche-cheveux les jours sans.

On accepte ce qu’on refusait, des jours un peu mieux que d’autres il faut se l’avouer.

On trouve une association pleine de cœurs et on y découvre un big bang de sœurs.

On essaie les volumateurs, les perruques, les accessoires, on s’essaie à la nouveauté, se trouver jolie malgré le petit trouble qui n’en est plus un, il est juste là.

On a fait la paix d’ailleurs avec les coiffeurs du quartier.

On a supprimé les photos de notre cuir chevelu, et on en a eu ras le bol de compter les cheveux qui tombaient alors on a aussi arrêté. La terre n’a pas cessé de tourner et les grèves ont continué à la SNCF.

Avant de sortir on se maquille, on se coiffe, on s’habille, comme d’autres.

On checke toujours vite fait dans la glace de l’ascenseur, comme d’autres.

Œil de biche ? OK

Pas de rouge sur les dents ? OK

Bidou bien rentré dans le jean ? OK

Cuir chevelu ? OK.

Alors on y va.

 

L’acceptation ce n’est pas se sentir bien tous les jours, c’est être ok avec toutes les émotions qui nous traversent, nous chamboulent et nous renversent un peu, parfois.

À ce petit trouble qui des jours nous gâche la vie mais qui aussi nous apprend qu’être femme c’est possible avec ou sans cheveux. On aura appris à manier la féminité comme un art, à nous reconstruire une image, à nous relever, ça aura pris plus ou moins de temps, mais on aura appris.

 

Alexandra M.

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