Témoignage – Un cadeau mal emballé

J’ai découvert mon premier trou le jour de mes 25 ans.

 

De la taille d’une pièce de monnaie, il trônait fièrement sur le sommet de mon crâne. J’étais effondrée, terrifiée à l’idée de perdre ce que je considérais comme ma féminité. Si inquiète que je sacrifiais mes bougies pour la salle d’attente d’un médecin. Son diagnostic : « c’est une petite pelade, ne vous inquiétez pas, ça va repousser. Vous êtes stressée en ce moment ? ». Je repartais avec une petite lotion, des vitamines et de nombreuses interrogations sur mon état émotionnel.

 

Les jours suivants, j’ai fais connaissance avec mon nouvel ennemi : la salle de bain. Sous la douche, je tentais d’ignorer les touffes de cheveux qui me restaient en main. Face au miroir, j’étais confrontée, impuissante, à l’agrandissement de ma pièce de monnaie et à celles qui venaient la rejoindre. Je traînais sur internet. De site en site, je découvrais un nouveau monde fais d’interrogations, de pseudo-médecins et de non sens. Je regardais le visage souriant de femmes chauves expliquant qu’il fallait lutter contre les injonctions de la société. Bien sûr, il fallait y penser ! Je n’étais absolument pas prête à me confronter à leur sororité.

 

Comme toute personne désespérée, je fis chauffer la carte bleue dans des centres spécialisés promettant qu’en suivant de manière assidue un traitement, à base de shampoing-sec et de vitamines, tout cela ne serait bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Quoi de plus culpabilisant ? Si je manquais une pilule, je me persuadais que l’amas de cheveux sur l’oreiller résultait de mon incompétence à prendre soin de moi. A 50 euros le shampoing-sec, je payais au prix fort ma négligence.

 

Les centres n’ayant rien pu faire, je me mis à traquer les spécialistes sur Doctolib. Trois victimes, trois plats avariés.

 

Le premier me confirma qu’il s’agissait d’une petite pelade, malgré la présence de quatre autres nouveaux trous bien nets et bien lisses éparpillés sur mon crâne. Petite ? Vous m’auriez donné une tondeuse, je l’aurais rasée. Elle me donna un nouveau traitement en lançant avec toute la légèreté d’un professionnel de santé « lavez-vous bien les mains après, c’est très agressif ». Super !

 

Le deuxième dermatologue, Mr. Bonjour ça fera cent cinquante euros, me reçut et m’annonça en un coup d’œil qu’il me fallait faire le deuil de mes cheveux : « vous comprenez mademoiselle dans ce genre de pelade, les chances de rechute sont inévitables ». Il changea une nouvelle fois mon traitement et me fixa dix rendez-vous, étalés sur un an, d’injections. Rendez-vous qui furent rapidement annulés. A quoi bon ? Je n’avais de toute façon plus les moyens de rien.

 

La troisième fut bien plus positive : « oh mais ce n’est rien. Ils repoussent déjà. Avez-vous déjà parlé de votre naissance avec votre mère ? ». Il est intéressant de noter que malgré une dizaine d’années d’études, ces professionnels de santé n’ont pas la science infuse. L’ensemble des recherches menées sur la pelade que j’ai consultées n’ont jamais pu prouver de lien intrinsèque entre la perte de cheveux et une instabilité émotionnelle. Alors,  avec une naissance traumatique ? Il serait peut-être temps que la science ne fasse pas passer sa méconnaissance d’un sujet pour une faute imputable au psychisme, non ? Surtout que fun fact, perdre ses cheveux à 25 ans entraîne forcément du stress, c*********.

 

Et puis à côté de toutes ces incohérences, toutes ces déceptions, il y a la réalité, ce qu’on ne peut pas maitriser. Les cheveux sur l’oreiller. Les trous que l’on peine à dissimuler. La minimalisation des proches qui pensent bien faire. Les photos de groupes où l’on ne se reconnait plus. La parano d’être épiée dans la rue. L’angoisse que cela ne s’arrête jamais. Les notices des lotions qui mettent en avant les effets secondaires de ce qu’on tente d’appliquer minutieusement chaque jour sur son crâne. Les cheveux tirés en arrière par des pinces barbares qui empêchent de s’installer confortablement au cinéma. Les torrents de larmes certains jours. La résignation hypocrite le lendemain. Les chevelures soyeuses des stars de cinéma sur grand écran. La peur de ne plus être désirable pour l’autre et pour soi.

 

Et puis un matin, on accepte. On accepte de ne pas avoir le contrôle, sans pour autant lâcher prise. On accepte de libérer ses cheveux sur la plage, sans penser aux regards maladroits de ceux qui ne savent rien. On accepte de danser sauvagement sur une piste de danse, sans aller se repoudrer entre chaque choré. On accepte l’impuissance de nos proches, sans réussir à les épargner. On accepte de ne pas être qu’un physique, sans pour autant se perdre en tant que femme.

 

Une nouvelle énergie se met en place. On dessert les pinces qui nous étouffaient. On se coiffe de bandanas rétros, de carrés de soie Vichy. On admire les femmes de Château d’Eau enfiler des perruques à la Beyoncé. On arrête les traitements, parce qu’à quoi bon ? On retourne sur les profils de ces femmes chauves qui fièrement exhibent leur crâne et on s’imagine une future carrière de mannequin à l’international. On les trouve fortes. On les trouve intelligentes. On comprend leur combat. Elles deviennent nos soeurs.

 

Finalement, ce jour finit par arriver. Les trous ne sont plus là. On ne sait pas pourquoi. On ne sait pas comment. On détache ses cheveux avec l’angoisse un temps qu’un nouveau trou s’y glisse sans bruit. On ne se sent pas forcément plus femme qu’hier, mais sûrement plus légère.

 

L’énergie est toujours là. Je suis forte. Je peux tout supporter. Tu peux revenir. Je te connais. Je n’ai plus peur. Maintenant, je sais.

 

Il était foutrement mal emballé ce cadeau.

 

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